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Lettre de la Lise
25 février 2009

Le Démon, Hubert Selby

enfer« Il remonta la Cinquième Avenue jusqu’à Central Park, s’assit au bord du lac et regarda les canards glisser sur le reflet des gratte-ciel. Il resta assis là. Toute la journée. Les yeux fixés. Dans le même état de torpeur que celui dans lequel il avait regardé l’océan, marché le long des rues et couru les magasins et les boutiques. Une torpeur qui le privait de tout sentiment. C’était cette torpeur et cette absence totale de sentiments qui lui permettait de faire ce qu’il devait faire. Cette torpeur… cette insensibilité. Cette insensibilité qui le maintenait en vie. Lui permettait d’agir. Mais, ô mort douce et éternelle, combien de temps cela allait-il durer ? […] et il entendait des cris perçants monter de ses entrailles transformées en un champ de bataille où s’affrontaient les chiens de l’enfer et les chiens du ciel et les chiens de l’enfer déchiraient et lacéraient sa chair et l’odeur et le gout du sang les rendaient fous et plus féroces encore et les chiens du ciel conservaient un silence et une immobilité absolus et attendaient et les chiens de l’enfer les regardaient d’un air moqueur et plein de défi tout en déchirant et en arrachant la chair des entrailles de Harry White […] »

Ce que vous venez de lire est un court extrait du Démon, écrit par Hubert Selby (et oui, je sais, encore lui :-p) en 1976. C’est l’histoire d’un homme cynique et amoral qui va commettre des actes de plus en plus infâmes le jour où il décide de devenir un être bon et moral. Concrètement : c’est l’histoire d’un homme, Harry White, qui passe son temps libre à coucher avec des femmes mariées, car « il trouvait que coucher avec une femme mariée était beaucoup plus jouissif. Pas parce qu’il baisait les femmes d’un autre, ça Harry s’en foutait, mais parce qu’il devait prendre quelques précautions pour ne pas être découvert. ». Harry n’éprouve aucune honte à faire ce qu’il fait jusqu’au jour où il rencontre LA femme. Elle s’appelle Linda, n’est pas mariée et est même plutôt puritaine. Il tombe pourtant amoureux d'elle. Il l’épouse et décide de lui être à jamais fidèle. Mais, tout n’est pas si facile… Selby écrit en préambule de son roman : « Un homme obsédé est un homme possédé du démon ». Et en effet, Harry a toujours en lui ce démon qui le pousse à faire le mal d’une manière ou d’une autre et s’il ne veut pas tromper sa femme, il va bien falloir qu’il trouve un autre moyen de satisfaire ce démon qui le ronge…

Cet héros qui nous est au début assez antipathique tant il semble dépourvu de toute humanité va peu à peu éveiller en nous une réelle compassion car à partir du moment où il rencontre Linda, il souhaite réellement devenir bon. Ironie du sort : c’est à ce moment là qu’il devient vraiment mauvais… Mais ne vous y trompez pas : Harry, c’est nous tous. Nous avons tous en nous un démon qui nous pousse à faire le mal même si heureusement pour nous, nous ne succombons pas tous à la tentation du Malin ^_^. Harry est assez différent des personnages que l’on rencontre habituellement chez Selby. En apparence, c’est un homme qui a parfaitement réussi sa vie et non pas un homme minable que son milieu empêche d'être heureux.

Harry a accompli cet « American dream » auquel tous les Américains doivent aspirer : il a une femme parfaite, il est apprécié dans le cadre de son travail et reçoit un très bon salaire. Mais il a réalisé ce rêve américain seulement parce que son entourage (ses parents et son patron surtout) le pousse dans cette direction. En réalité, cette réussite sociale et financière ne le rend pas pleinement heureux : elle ne l’empêche pas de se sentir de plus en plus attiré par le mal… Selby dénonce fortement ce modèle du rêve américain, que chacun se doit de réaliser même si ce modèle ne lui convient pas.

PurgatoireMais c’est surtout l’hypocrisie de cette société américaine que critique vivement Selby. « Je reçois en permanence d’autres cadres supérieurs, des hommes, qui, comme moi, ont réussi, parce qu’ils sont comme moi des individus responsables. Nous sommes de bons pères et de bons époux, solidement implantés dans nos communautés respectives. Nous avons une vision saine des choses. […] Il est impératif pour un dirigeant d’être un bon père de famille et un membre responsable de sa communauté .» : telle est la profession de foi du patron d’Harry. Pourtant, ce « bon père et ce bon époux » (comme il se définit lui-même) ne ressent aucune honte à passer du bon temps avec des prostituées après ses heures de travail. La société américaine, telle qu’elle est décrite par Selby, se cache derrière un puritanisme de façade. Finalement, peu importe à quelles affres  se livrent les individus tant que celles-ci ne sont pas clairement affichées. Telle est la conduite d’Harry au début de ce livre : il n’éprouve aucune honte à coucher avec des femmes mariées, mais il ne veut pas que ça se sache et prend même du plaisir à cacher son penchant à son entourage. Par la suite, son attitude change complètement : il est terrifié à l’idée de commettre une mauvaise action. Il commence à ressentir de la culpabilité mais celle-ci semble ensuite à son tour s’effilocher… N’aurait il pas peur en réalité que ses mauvaises actions se sachent ? Ne craint-il pas en fait d'arracher ce masque puritain derrière lequel se cache cette face sombre de l’Amérique que personne ne veut voir ?

A vous de lire ce livre et d’en juger par vous-même ! ^^ Pour les curieux, sachez que les deux images qui illustrent ce post, sont tirées des Très riches heures du Duc de Berry et s'intitulent L'Enfer et Le Purgatoire.

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Commentaires
N
j'ai lu ce livre il y a quelques années ,je l'ai particulièrement aimé , je pense qu'on pourrait en tirer un bon film , en respectant la montée en puissance du récit
Lettre de la Lise
  • Bienvenue dans mon humble demeure. Je parlerai dans ce blog de choses et d'autres, je vous ferai partager mes coups de cœurs littéraires et cinématographiques et mes propres textes. Mais,à l'image de Montaigne, c'est toujours moi que je peins...
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