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Lettre de la Lise
1 mars 2009

Le Saule, Hubert Selby.

« Maria se réveilla progressivement pendant la nuit, gémissant dans un halo narcotique, souffrant, ouvrant et fermant les yeux par intermittence au gré de ses allées et venues entre sommeil et veille, tiraillée alternativement dans les deux directions jusqu’à ce qu’ils restent ouverts et lui montrent la chambre inconnue autour d’elle, qu’elle regarda en bougeant la tête autant que lui permettait sa peur et son état physique. Elle percevait une lueur dans le couloir mais ne se rappelait pas ce qui s’était passé et, paralysée par l’effroi, comprenait seulement qu’elle n’était pas chez elle, ne comprenait que cela, or jamais encore elle ne s’était réveillée loin de chez elle et pensait qu’elle était peut-être morte et, muette dans sa gorge, criait maman dans sa tête. […] Un gémissement terrifié venu des profondeurs de son cœur montait, montait, et elle le sentait s’amplifier et jaillir d’une région inconnue qui lui pinçait le cœur, lui serrait la gorge, lui tordait la trachée-artère et l’étranglait comme
                                    la pire épouvante de la plus noire des nuits, la plus atroce des peurs de l’âme humaine, la nuit où les diables vont en liberté pour terroriser tous les promeneurs de la planète, des diables plus puissants que tous les anges du ciel, qui drapaient cette petite fille dans leurs affreuses capes de ténèbres, enfonçaient leurs dents pourries et leurs griffes dans sa chair brûlée pour lentement, vicieusement, l’arracher de son corps lambeau par lambeau et jeter ce corps qui ne voulait pas mourir dans les limbes du feu éternel où l’eau fraîche de l’apaisement était versée sur des rochers brûlants pour qu’elle voie son salut sans jamais pouvoir l’atteindre, cernée par des serpents de flammes dardant des langues de feu tout près d’elle mais sans jamais la toucher, sans jamais lui apporter le réconfort de la mort… et elle continuait à crier maman maman […]
»

 

Ce que vous venez de lire est un extrait du Saule d’Hubert Selby. Si je devais n'emmener qu'un livre sur une ile déserte, c'est sans conteste celui que je prendrais . Je l’ai lu il y a seulement un mois. Je l’ai lu lentement, très lentement, tant j’avais envie de savourer chaque page. Je n’en lisais qu’une dizaine de pages par jour mais quelles pages ! A maintes reprises, j’ai pleuré devant ces pages… Je me suis, quelques fois, totalement identifiée aux héros à tel point que j’avais l’impression que ce n’était plus eux qui parlaient mais moi. C’est moi qui exprimais là tout ce que je ressentais : ces mots illustraient exactement ce que je ressentais, l’illustraient même mieux que je n’aurais pu le faire car je n’ai évidemment pas la plume de Selby. C’était moi qui parlais mais en mieux. Comment donc ne pas être bouleversé par un auteur qui a si bien compris la détresse humaine ? Tout le panel des souffrances humaines est passé en revue dans ce livre : la maladie, la tentation de haïr et de se venger de ceux qui vous ont blessé, la foi en Dieu ébranlée par l’injustice du monde…

Mais tout n’est pas si noir. C’est le seul livre de Selby qui laisse entrevoir etoile_altair_06_09_17_2une lueur d’espoir dans un monde cruel et misérable. Cette lueur est minuscule mais elle est là… Car même si la vie est parfois dure, elle réserve des moments heureux dont il faut aussi se souvenir. Tel est la leçon que donne le vieux Moishe au jeune Bobby. Il l’emmène voir, un arbre, son arbre, un grand arbre au cœur de Prospec Park. C’est un saule, mais pas un saule pleureur. Non, ce serait même plutôt un saule rieur car cet arbre est là pour lui rappeler tous les moments heureux qu’il a connu dans sa vie. C’est là la leçon que donne Moishe à Bobby : la vie est parfois dure mais elle apporte aussi beaucoup de bonheur et il ne faut pas l’oublier. Ce livre est à l’image de nos vies : il vous fera pleurer, mais il vous rendra aussi heureux. Vous souffrirez avec ses héros, vous vous réjouirez avec eux et ils laisseront en vous leur marque pour toujours. Lisez ce livre, lisez le lentement et savourez en chaque instant… En voici encore un extrait : je vous invite à vous laisser emporter par ce torrent de mots.

 

lz2j7wnb« Les branches s’étiraient presque sur dix mètres de chaque côté et les extrémités plongeaient vers le sol. Des rayons de soleil dansaient sur les feuillages doucement agités par la brise où se reflétaient les eaux toutes proches. Le miroitement du lac à travers les branches, les rires des canotiers dans les barques, les jeux de lumière, la fraîcheur moite du sol, l’odeur de l’herbe et de l’humus et de l’eau, le frôlement de l’air sur son visage et le bruissement des branches, des feuilles, la présence de Moishe et le souvenir de sa main sur son épaule, le ciel pommelé de nuages entr’aperçu à travers les ramures… tout cela créait un monde nouveau pour Bobby, un monde qui semblait n’avoir ni mur, ni coins ni ombres, un monde où on ne lorgnait jamais par-dessus son épaule, et Bobby avait envie de se mettre à courir parce qu’il n’avait plus d’ancrage, plus rien sur quoi s’appuyer ,aucun repère connu pour délimiter un périmètre de sécurité, mais heureusement il y avait Moishe et ,c’était dôle de se dire ça, mais Moishe sauvait tout, par sa seule présence et ce souvenir un peu branque qui n’appartenait qu’à lui… Ouais, c’était cool, et il s’adossa contre le tronc et inspira profondément et ferma les yeux un moment, puis les rouvrit et regarda autour de lui et rien n’avait bougé, tout était resté en place, comme l’instant d’avant, et il regarda Moishe qui regardait la surface de l’eau où de temps en temps émergeait un canard, et son visage était si épanoui et si paisible que Bobby se sentait sourire aussi, et Moishe commença à parler sans cesser de regarder l’eau… »

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